jeudi 7 janvier 2010

Régionales 2010: Qui osera s'opposer aux écolos?

Qui osera s'opposer aux écolos?

Cécile Duflot , secrétaire nationale des Verts, candidate tête de liste aux élections régionales 2010 en Île de France répond à un journaliste du Monde qui l'interviewait: « Que les discours des écologistes soient devenus à la mode, ce n'est pas une découverte. Peu de politiques osent s'opposer frontalement aux solutions que nous avançons. La question est de savoir qui va les mettre en œuvre ? ».
Ces propos, outre qu'il constituent un aveu de non spécificité politique (à présent que toutes les principales composantes politiques ont intégré l'exigence écologique) sont peut-être provocateurs. Si sur le fond Mme Duflot a raison de dire que peu de politiques osent s'opposer… il me semble qu'elle a tort dans la manière de le dire et peut-être de le penser, ce qui transparait dans la tonalité de sa déclaration. Elle semble poser cela comme une chose de bon sens et acquise, contre laquelle il serait vain et fou d'aller. La suite de sa déclaration l'atteste puisqu'elle glisse rapidement sur cette absence d'opposition pour s'attacher au vrai problème: « qui va mettre en œuvre? ». La question n'est donc de son propre aveu non pas quoi, mais qui, non pas la question du contenu écologique, mais celle de ceux qui seront les acteurs de l'écologie. Mais qu'est-ce qu'être acteur de l'écologie? Pour vous, pour moi, pour la plupart d'entre nous, être acteur de l'écologie c'est utiliser parcimonieusement l'eau, c'est manger bio, c'est trier, lutter contre le CO2 etc. Certainement que pour Cécile Duflot aussi, quoiqu'en aient dit récemment ses détracteurs mauvaises langues qui ont voulu s'acharner à épingler ses déplacements en avion. Toutefois dans le contexte de l'interview accordée au Monde, visiblement pour Cécile Duflot mettre en œuvre les solutions avancées par l'écologie ce n'est pas seulement vivre bio: c'est gagner les élections et faire appliquer à titre de représentant politique l'écologie. Il y a déjà là une curieuse contradiction: commençant par dire que quoiqu'il arrive de toute façon tout le monde en gros fera dans le bio, Mme Duflot comme tête de liste brigue tout de même un mandat qui permettra de faire plus bio que bio, dénonçant implicitement une mode du bio c'est-à-dire un pseudo ou faux bio. Par où l'on voit percer une revendication d'authenticité: en gros tous les politiques vont marquer bio sur leur affiches, leur programmes et discours, mais méfiez vous, vous n'aurez là que des simulacres de bio, l'original étant chez nous. Ce discours fait irrésistiblement écho dans sa structure à celui tenu par le FN sur l'identité nationale et l'immigration (ce qu'en disent les autres partis, notamment l'UMP selon la famille Le Pen, le débat sur l'identité nationale, la question de l'immigration n'est que pâle copie de ce qu'ils disent depuis plus de 20 ans etc.). Idem donc pour les Verts: depuis le début nous tenons un discours écologique que presque tous les partis affichent aujourd'hui, mais c'est une mode et une posture parfaitement inauthentiques; préférez l'original à la copie. Si dans le propos de Mme Duflot il n'y a évidemment aucun rapprochement volontaire, lorsqu'on discerne l'implicite de ce qu'elle dit, on entend de la provocation. Or en philosophie, la provocation peut être ignorée comme polémique stérile, ou appréciée comme moteur de l'interrogation et de la dialectique.
L'écologie comme truisme et postulat incontournable de la politique est-ce bien sérieux? Il nous faudrait relever le défi et proposer que non. A défaut d'une analyse exhaustive de cette question, voyons de plus près le reste de l'interview de Mme Duflot et ce qu'il recèle et révèle sur le positionnement politique et les intentions réelles des Verts, rebaptisés pour les circonstances Europe Écologie. Peut-être trouverons nous le point de départ pour une critique à venir de l'écologie politique.

Les élections régionales approchent. Comme leur nom l'indiquent, ce sont des élections qui concernent les enjeux politiques, économiques, sociaux, écologiques à l'échelle progressive locale des communes, des départements, des régions. Ce sont des échéances électorales qui ne devraient donc pas être parasitées par les visées et ambitions des personnes et des partis, mais animés par les préoccupations de développement, d'environnement, de transports, d'éducation etc. Par la taille des régions, peut-être aussi par les enjeux de vie commune et concrète, ces élections renvoient à l'échelle des grandes cités anciennes et donc à l'essence de la politique: organiser le vivre ensemble, viser le bien commun. A l'échelle d'une Nation, cela relève beaucoup plus de mots et d'idées: les distances, les écarts, les différences et divergences sont si grandes qu'elles éloignent. A l'échelle d'une région, le climat, les mœurs, les rythmes de vie, le logement et le travail rapprochent. L'angle principal pour aborder cette échéance devrait donc être celui de la proximité et des spécificités locales, non celui des vastes prises de position idéologiques et des grandes manœuvres d'appareil. Pourtant c'est ce qui est en train de se produire et dont la moindre raison n'est pas celle de notre calendrier électoral: d'une part dans le jeu de l'alternance de la démocratie représentative, chaque élection pour les partis politiques notamment d'opposition est l'occasion de se refaire une santé contre ses adversaires et parfois sur le dos de ses alliés. D'autre part pour le PS, parti qui possède presque toutes les régions mais ni la présidence de la République ni la majorité au parlement, c'est l'occasion de se renforcer (ou plutôt de se rassurer de ne pas encore être mort) et d'asseoir sa suprématie régionale afin de revenir dans la course. C'est alors un galop d'essai à partir duquel les échéances futures (présidentielles et législatives) devront s'organiser. Enfin pour tous, c'est un enjeu politique, économique et personnel de taille: il y a des postes à pourvoir, des pouvoirs à distribuer.
Tout cela contribue à ce que le débat sur les tenants et aboutissants des faiblesses et des forces de chaque région (les réels et urgents besoins en matière d'aménagement du territoire, d'urbanisation, de logements, de transports, de protection de l'environnement) n'a pas lieu, mais d'une part cède place à un pseudo débat sur l'identité nationale, d'autre part fait la part belle aux coups bas électoraux par petite déclarations intempestives à la presse et propos qui consistent toujours à dénoncer le camp d'en face avant même que d'avoir fait le ménage dans le sien propre.

Dans ce registre, une médaille peut être attribuée à la région île de France et à la famille politique des Verts, rebaptisés depuis les Européennes « Europe Écologie ». Fait de bric et de broc dès l'origine, mais ayant récemment bénéficié d'apport de sang neuf venant de la gauche alternative convertie aux sirènes écologiques, du centre droit et de la gauche modérée (Modem et PS), la famille politique Europe Écologie est un étonnant patchwork qui mise pour les élections régionales sur deux atouts majeurs: être composée de multiples morceaux d'à peu près toutes les familles politiques de gauche et d'une partie de celles de la droite; d'être une force transversale à peu près dans tous les discours et toutes les attentes contemporaines en matière écologique.
• Le premier atout consiste pour les Verts à appauvrir et diviser peu ou prou à peu près toutes les familles politiques de proximité, et du coup de pouvoir prétendre se placer en position de leader de l'opposition.
• Le deuxième atout est celui de pouvoir piller à peu près toutes les familles électorales (avec toutefois une résistance notable chez les extrêmes, notamment droite). Au total de pouvoir réussir à « rassembler » assez naturellement, sans avoir de contorsions particulières à effectuer pour se positionner politiquement, presque sans même avoir à élaborer de programme politique spécifique et poussé. Les nouveaux Verts peuvent se payer le luxe de faire à peu près n'importe quel programme dès lors qu'ils respectent le principe écologique de base, sachant que leur axe central de toute façon ne pourra pas être critiqué, et même aura toutes les chances d'être repris et pillé par les autres familles politiques, de gauche comme de droite. De ce point de vue l'écologie est une manne, à la limite les Verts n'ont pas trop de souci de campagne à se faire, du moins pour faire admettre et progresser leurs idées, les autres familles politiques travaillent aussi pour eux!

Or en Île de France et par la bouche de Cécile Duflot, secrétaire nationale également tête de liste régionale, les Verts viennent de franchir la ligne rouge: la candidate tête de liste enfonce le clou en usant d'une langue de bois vert. Chaque fois que des actions et projets sont mentionnés, il s'agit d' éviter de faire face et de répondre, pour la seule raison que les actions ou projets en question émanent ou sont censés pouvoir bénéficier à d'autres familles politiques. Ainsi dans un récent article du Monde , Mme Duflot botte en touche plusieurs questions: celle de la gestion de la région par les socialistes, celle de la suppression ou suspension de la taxe carbone, celle de la voiture électrique…
On discerne alors assez clairement la tentation du courant politique des Verts à l 'occasion des proches régionales:
• optimiser leur avantage initial d'être la force transversale portée par les circonstances historiques consensuellement écologiques
• accentuer l'affaiblissement et si possible porter un coup fatal aux familles politiques proches (le PS et le Modem en particulier) pour se hisser au rang de principal parti d'opposition face à l'UMP.

Pour les Verts, leur percée importante lors des des Européennes tient à l'intelligence d'avoir su changer de nom (Europe Écologie) et de conduite politique (les divisions intestines permanentes qui les minaient) en se boostant de candidats d'horizons, de renoms et de compétences politiques variés. Il y a pour eux dans ces prochaines échéances une promesse électorale importante et il s'agit donc de saisir leur chance: faire coûte que coûte le plein de voix en tenant un discours réputé de gauche, engagé sur le collectif et le social (proximité lieu de travail et habitat, discours à l'attention de la moyenne ou grande couronne réputées plus à gauche que la petite), mais en parallèle piller l'électorat de droite attaché aux valeurs plus individualisés de la qualité de vie et mettre l'accent sur l'environnemental bien couplé au réalisme économique.
Bref un savant usage de la langue de bois la mieux aguerrie, capable de faire avaler couleuvres et peut-être même boas aux électeurs, art assez consommé du non positionnement politique opportuniste. Cette stratégie peut payer à une époque où la cacophonie ubuesque du PS, la décomposition inéluctable du PC malgré le ralliement de Mélenchon et les élucubrations du NPA plombent la gauche. Qui plus est à l'heure où la droite commence à lasser et désespérer y compris dans son propre camp.

Mais si dans l'absolu les ambitions des Verts actuels sont légitimes et prometteuses, leur position très intermédiaire, les portant à s'engouffrer dans les vacuités et les faiblesses des blocs traditionnels de droite et de gauche nourrissent une illusion: celle d'avoir inventé une nouvelle façon de faire de la politique, la politique non-politique, la vraie démocratie soucieuse des problèmes réels des citoyens. Or c'est là que se révèle le comble de leur position clivée à l'intérieur même de leur structures et de leur électorat: les Verts dans le mouvement qui les porte à briguer à l'heure actuelle toutes les places et à se tailler la part du lion sont peut-être la force politique obligée d'être la plus conciliante et politicienne, celle faisant un usage de la rhétorique des plus complexe et artificiel, c'est -à-dire celle jouant le plus des déperditions de voix chez l'adversaire, de la déconvenue (doublée de dépolitisation) des électeurs en les incitant à l'égarement des points cardinaux de la politique.
Il est à parier que ce qui peut sembler être la force majeure d'Europe Écologie sera aussi son plus grand handicap: d'avoir les pieds et mains liés à des intérêts économiques, sociaux, politiques, psychologiques très éloignés les uns les autres et peut-être inconciliables, de prétendre pouvoir surfer sur la vague écolo durablement. Si d'aventure ils sortaient comme ils l'escomptent grands gagnants des ces prochaines échéances électorales, il est fort à parier qu'ils seraient condamnés à résoudre une équation insoluble visant à faire plaisir en même temps à tout le monde et par là-même à décevoir en masse.

Les évitements et les dénégations de Cécile Duflot dans ses récentes déclarations au Monde semblent bien attester d'une orientation de campagne doucereuse et pleine de compromis inquiétants. Par exemple quand elle dit: « Nous travaillerons sur deux points majeurs en Ile-de-France : d'une part le développement économique et la formation professionnelle, de l'autre l'amélioration de la qualité de la vie », très bien, qui pourrait aller a priori contre de telles bonnes résolutions? Mais n'y décèle-t-on pas à demi mot que les positionnements des électeurs en fonction de leurs préférences politiques ne préoccupent pas la tête de liste aux régionales. On croit même entendre un discours pseudo-centriste, non pas celui d'une troisième voie qui assumerait sa position du ni… ni, mais celle du cumul de toutes les voix, qui revendique celle du et… et. Le sommet du genre est atteint lorsque Cécile Duflot déclare coup sur coup s'en prenant à Valérie Pécresse qui aurait dit d'elle qu'elle était opposée à la voiture électrique: « C'est facile d'avoir des discours simplistes, les écologistes ont pour leur part des discours nuancés ». Cette coquetterie à détenir l'exclusivité des discours tempérés et subtils laisse bien deviner les principales familles politiques auxquelles les Verts en leur fond ont l'ambition de s'apparenter voire de se substituer: en premier lieu le Modem mais sans ses valeurs de fond notamment éthiques voire religieuses, en second lieu au PS mais sans ses prises d'oppositions tranchées (par exemple Ségolène Royal radicalement contre la taxe carbone jugée par elle impôt supplémentaire injuste alors que Cécile Duflot déclare sans vergogne dans l'article cité « Nous défendons la fiscalité verte depuis des années. Le principe est de mettre l'outil fiscal au service d'un projet… il faut alors avoir le courage de la logique d'une fiscalité écologique»), au PC avec tout le discours sur le mode Les Corons en Île de France et la mise en place de transports en commun...

Toute cette gentille programmation est pleine de belles et bonnes intentions à destination de qui voudra l'entendre, mais sans compter d'une part qu'elle idéalise et idyllise la nature humaine en négligeant de reconnaître qu'elle puisse vouloir autre chose que sa petite maison et sa petite usine dans la prairie, fût-ce à 20 kms de Paris, elle représente aussi le degré zéro du politique comme lieu du non litige, où justement la richesse des débats et des échanges serait de tout confondre et de tout absorber, sans rien confronter ni faire s'entrechoquer!
Paradoxe du discours des verts à l'usage de la biodiversité et à l'ère de la biosphère: non pas la bio-politique telle que l'entendait Foucault mais de la politique-bio à l'usage d'électeurs bio! Partir d'une critique et d'une déconstruction du discours et de l'action politiques traditionnels pour venir occuper par affaiblissement des opposants et empiètement transversal de tout le terrain sociétal la majeure partie du champ électoral. Finalement le discours des verts qui se voudrait adialectique s'avère schizoïde: il s'adresse à peu près indifféremment à tous les citoyens et leur livre en guise de message d'économie politique une promesse écolo-messianique: cessez de vous positionner dans le débat politique et dans les jeux et enjeux d'idées. Elles ont cessé de gouverner le monde et de faire vivre les hommes. À l'ère de la crise écologique, le seul combat qui reste c'est celui de l'avenir de la planète, du bien-manger, du bon-vivre et du respirer à fond en pleine ville comme à la campagne. Puisque nous sommes les seuls vrais représentants authentiques de ce nouvel ordre vital de l'existence au XXIe siècle, qui mieux que nous pour vous représenter? Le problème est que l'écologie dans sa composante principale la plus profonde est peut-être un combat au delà de la démocratie de représentation qui ne relève pas tant des élections que des décisions que chacun prend par lui-même et pour lui seul.

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